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Erreurs dans les DPE

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Nouveau DPE : chronique d’un désastre annoncé

Par Bruno Slama, ancien élève Ecole Normale Supérieure et gérant de BBS Slama

Le 1er avril, le Ministère a publié la liste des logiciels validés pour calculer le DPE. Beaucoup ont espéré que cette publication marquerait l’achèvement du processus de « fiabilisation » du DPE. Il n’en est rien et malheureusement cela n’a rien d’étonnant :

  • La méthode de calcul qui ne repose sur aucune étude scientifique spécifique et qui consiste en la concaténation de différentes méthodes antérieures, n’est pas finalisée.
  • Le moteur de calcul fourni à la majorité des éditeurs de logiciel DPE, est de surcroit très partiel. Ce moteur n’est pas stabilisé et ses résultats continuent à évoluer notablement. Il n’a été l’objet d’aucune validation.
  • Le processus d’évaluation a été mené dans des conditions apocalyptiques. Il a mené les éditeurs de logiciels au bord de la crise de nerf, sans que soient sérieusement examinés les différents aspects des calculs réalisés par les logiciels.

Dans cette chronique, nous allons détailler ces trois aspects : méthode, calcul, évaluation. Nous montrerons ensuite qu’il n’est pas raisonnablement envisageable d’utiliser le DPE en son état pour faire de l’Audit Energétique.

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Nouveau DPE : chronique d’un désastre annoncé

1. La méthode du DPE

La méthode du DPE est ce que l’on appelle une « méthode globale » par opposition aux méthodes dites de STD (Simulation Thermique Dynamique) dans lesquels les calculs sont faits pour chaque heure de l’année.

L’avantage historique des méthodes globales est de pouvoir être calculées « à la main ». Dans les années 60, mon père, Richard Slama, effectuait « de tête » des évaluations de besoin de chauffage en multipliant les déperditions par degré d’écart par les DH14 (degrés heure calculés par rapport à 14°C).

Ensuite, son expérience lui permettait à la vue de l’installation de choisir le coefficient faisant passer du besoin à la consommation. Pour ne pas utiliser une méthode aussi simplifiée que les DH14 de nombreux travaux ont été menés jusqu’à la fin des années 80.
Comment caractériser l’impact d’un masque par un seul coefficient alors que cet impact dépend de la position du soleil dans le ciel ?
Comment caractériser l’efficacité moyenne d’une PAC alors que ce que l’on peut connaitre c’est son efficacité dans différentes conditions de fonctionnement ?
Comment caractériser les pertes par un réseau de distribution ? Comment calculer la part récupérée des apports internes et solaires ?
Comment caractériser l’intermittence ?
Ces questions très difficiles ont mobilisé de nombreux chercheurs et ont trouvé des réponses, par exemple dans la RT88.

A l’inverse pour les méthodes de STD, comme la RT2012 ou la RE2020, il n’est pas possible de réaliser à la main les 8760 (les 24 heures  des 365 jours de l’année) calculs et le processus prend un côté plus « boîte noire ». Mais avec les ordinateurs actuels, il n’y a pas de problème de temps de traitement et les problèmes difficiles présentés précédemment disparaissent.

2. Les 3 versions du DPE

La première version du DPE, écrite par Bernard Sésolis, s’appuyait directement sur les travaux ayant conduit à la réglementation de 88 en ajoutant 2 idées très intéressantes : calculer les surfaces déperditives à partir de la surface du bâtiment et de sa forme, évaluer les déperditions par les parois à partir de l’année de construction pour les bâtiments construits après 1947. Ce premier DPE s’appuyait sur des travaux scientifiques en assumant un certain niveau d’incertitude et il a permis d’avoir une vision générale des bâtiments en France.

Les 2 versions de « fiabilisation » du DPE ont marqué une rupture. Des ajouts de méthodes ont été faits en piochant dans des documents plus récents mais sans étude scientifique pour s’assurer de la cohérence du résultat. Par exemple dans la version de 2021 :

  • Les données météo sont devenues mensuelles, mais les valeurs de 88, données globalement pour l’année, ont été conservées pour le coefficient d’orientation et la caractérisation des masques, alors que ces valeurs dépendent de la hauteur du soleil et donc du mois.
  • Dans les données mensuelles, les degrés heures utilisés : « prennent en compte … un réduit des températures à 16°C pendant la journée en semaine ». Cela signifie que l’on a introduit dans la méthode une façon de tenir compte de l’intermittence dans l’utilisation des logements. Pourtant le coefficient d’intermittence utilisé dans le calcul de consommation n’a pas été modifié.  Cela signifie que dans le DPE de 2021 l’impact de l’intermittence est compté 2 fois.
  • La méthode limite maintenant les apports gratuits pendant les périodes d’inoccupation. Cela a-t-il un impact sur le calcul de F, la fraction des besoins de chauffage couverte par les apports gratuits ? La question n’a pas été posée et le calcul de F n’a pas été modifié.

La version du DPE 2021 a également introduit des éléments nouveaux, comme une « méthode d’échantillonnage », utilisée pour calculer un immeuble. Dans une note du 6 février (1), j’ai démontré que cette méthode induisait une incertitude de l’ordre de 20% pour les immeubles hétérogènes et que l’utilisation proposée du logement moyen était grossièrement fausse pour le calcul des systèmes.

On vient de voir que le processus de « fiabilisation » du DPE a été engagé par les pouvoirs publics en sous estimant l’ampleur de la tâche. La marche au désastre s’enclenchait…

 

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Etiquettes énergie et émission de GES du nouveau DPE

3. Logiciels et moteur de calcul pour le DPE

Bernard Sesolis avait mis au point la première version du DPE en réalisant simultanément un logiciel lui permettant de tester la méthode et de réaliser des jeux d’essais. De la même façon le CSTB a réalisé la RT2012 puis la RE2020 en s’appuyant sur son logiciel Maestro.

Le bureau d’études chargé par le Ministère du DPE 2021, n’a disposé à aucun moment d’un logiciel de calcul, capable de traiter globalement un bâtiment. A partir de juillet 2020, BBS Slama pouvait fournir un logiciel conforme au projet de méthode, mais aucune demande ne lui a été faite. C’est donc si l’on peut dire « à l’aveugle » que les seuils des classes du DPE ont été fixés.

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La possibilité d’un scénario catastrophe était en place, et … c’est ce qui est arrivé. En octobre 2021, parmi les DPE réalisés pendant les 3 premiers mois d’application, le nombre de logements en classe F ou G était beaucoup plus élevé qu’attendu ; en particulier pour les logements anciens. Pour ne pas se dédire, les seuils de classe n’ont pas été changés et la méthode a été « corrigée » essentiellement en introduisant une erreur manifeste dans le calcul de la ventilation des logements ventilés par ouverture des fenêtres.

Pour accompagner les éditeurs de logiciels qui le souhaitaient, dans cette complexification de la méthode, le Ministère a voulu fournir un « moteur » pour calculer la partie « système ». A ce jour, même si en un an des progrès ont été réalisés, ce moteur n’est pas achevé et pour les éditeurs qui l’utilisent, c’est dans ce moteur que réside le plus fort risque d’erreur de calcul. De plus, contrairement à l’obligation concernant les logiciels, ce moteur n’a dû entrer dans aucun processus d’évaluation. La marche au désastre a pris corps…

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4. L’évaluation du DPE 2021

Même, si avec le passage partiel au calcul mensuel, la quantité de calcul a augmenté, le DPE conserve l’avantage de pouvoir être calculé manuellement. Pour l’évaluation, le Ministère n’a pas cherché à utiliser cette possibilité de réaliser des cas tests sans utiliser de logiciels. L’appel à des bureaux d’études extérieurs, coordonnés par un organisme certificateur, pour effectuer des calculs manuels, aurait permis :

  • De s’assurer de la cohérence de la méthode en permettant éventuellement de la corriger.
  • De donner des exemples qui auraient permis aux éditeurs de solidifier puis de valider leurs logiciels.
  • De contrôler puis de valider les moteurs.

Au lieu de cela une tentative a été faite de réaliser le calcul du bâti dans un programme Excel, puis d’alimenter le moteur en écrivant à la main un fichier XML. Cela s’est avéré particulièrement peu efficace.

Sans titre 1

Le processus de création d’une centaine de jeux d’essai devait être fini en janvier 2021 pour que les logiciels puissent être évalués en juillet 2021, au moment où le DPE est entré en application. Dans les faits, le nombre de cas s’est réduit jusqu’à ne couvrir qu’une petite partie de la méthode. De plus, la production des cas tests ne s’est achevée que 10 jours avant la fin de l’évaluation, contraignant des éditeurs à passer des nuits blanches pour faire, défaire puis refaire leurs cas au fur et à mesure que les jeux d’essai et le moteur évoluaient.

Même si à la fin, comme dans « l’Ecole des Fans » de Jacques Martin, tout le monde a eu une bonne note, le désastre pressenti était bien là.

dpe 2022

Le nouveau DPE, Diagnostic de Performance Energétique

5. Un mot sur l’audit énergétique

Beaucoup le savent, le Ministère souhaite utiliser le DPE 2021 pour la réalisation d’audits énergétiques. Comme on vient de le voir, l’état du DPE devrait décourager à s’engager dans cette voie.

De plus, une démarche d’audit nécessite de pouvoir caler, pour l’état initial du bâtiment, la consommation théorique avec la consommation relevée. Or la forme actuelle du DPE, avec ses fichiers météo retraités, ne permet pas de calculer le besoin de chauffage en faisant varier l’altitude ou la température intérieure. Elle ne permet pas non plus de tenir compte des conditions météo correspondant au relevé de consommation.

Au vu des temps de calcul actuels avec une méthode au pas de temps horaire, il devient difficile de trouver une justification pour utiliser une méthode globale très complexe à mettre au point. Si, pour des raisons idéologiques qui m’échappent, le Ministère veut absolument le faire, le choix de la version 2021 serait catastrophique et préparerait un nouveau désastre.

Fait par Bruno Slama, ancien élève Ecole Normale Supérieure et gérant de BBS Slama

(1) Bruno Slama : Retour sur l’échantillonnage. 

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